Le Tibet en ombre chinoise - Chinese-shadowed Tibet
Le 1er septembre prochain, les Chinois fêteront les 50 ans de ce qu’ils ont nommé la « Région autonome du Tibet ». Un triste anniversaire pour les Tibétains qui ont toujours vécu l’arrivée des Chinois comme une invasion. Et une occasion, pour nous, de suivre les conseils du Dalaï-lama : « Allez au Tibet, voyez autant d’endroits que vous pouvez et ainsi, vous pourrez témoigner au reste du monde ».
Nous l’appellerons Tenzin, un Tibétain de retour chez lui après 30 ans d’absence. Son histoire pourrait être celle de millions de Tibétains chaque jour. Même s’il n’existe pas vraiment, c’est à travers ce personnage fictif que nous pourrions découvrir le Tibet d’aujourd’hui. Une manière de protéger nos informateurs qui risquent la prison à vie.
Depuis plus d’une heure, Tenzin fait la file, la boule au ventre, pour passer le poste d’immigration à l’aéroport de Lhassa. Après de multiples questions, l’officier pose le cachet « China » sur son passeport : « Welcome to Tibet » ! Il est un des rares et chanceux Tibétains à posséder un passeport.
Tenzin revoit enfin son Tibet, ce « pays des neiges » qui compte aujourd’hui trois fois plus de Chinois que de Tibétains. C’est le plus haut plateau du monde avec une altitude moyenne de 4000 m et des terres à perte de vue. Une région réputée sacrée, longtemps interdite aux étrangers et aujourd’hui « occupée » par la Chine. En 1965, six ans après l’invasion chinoise et l’exil du Dalaï-lama en Inde, le Tibet central a été intégré à la République populaire de Chine et baptisé « Région autonome du Tibet » (RAT). Mais au regard de la situation sur place, le mot « autonome » n’est toujours pas d’actualité.
Next September 1st, the Chinese will celebrate the 50th anniversary of what they have called the “Tibet Autonomous Region”. This is a sad anniversary for the Tibetan people, who have felt the Chinese arrival to be an invasion and an opportunity for us to follow the Dalai-Lama’s advice: “Go to Tibet and visit as many places as you please so that you can then testify before the rest of the world.”
We will call him Tenzin, a Tibetan who came back home after 30 years of absence. His story is like that of millions of Tibetans’ daily lives. Although he is a fictional character, it is through him that we will be able to explore modern day Tibet. This is also a way to protect our informants, who may otherwise risk life imprisonment.
With a knot in his stomach, Tenzin has been queuing for over an hour before going through the immigration checkpoint in Lhasa airport. After asking Tenzin many questions, the officer stamps “China” on his passport. “Welcome to Tibet!” Among the Tibetan people, Tenzin is one of the happy few to actually own a passport.
At last Tenzin is able to see his dear old Tibet again, the “country of snow,” currently inhabited by three times more Chinese than Tibetans. It is situated on the highest plateau in the world, which culminates at an average of 13,000 ft., with lands spreading as far as the eye can see. This region, formerly closed to foreign visitors for decades, has the reputation of being sacred but is now “occupied” by China. In 1965, six years after the Chinese invasion and the Dalai-Lama’s exile to India, Central Tibet was annexed to the People’s Republic of China and named the “Tibet Autonomous Region” (TAR). However, given the current situation, the term “autonomous” does not always feel appropriate.
Ni briquet, ni « Lonely Planet »
En quittant l’aéroport, Tenzin prend la direction du centre-ville : Lhassa, le cœur et l’âme du Tibet, son centre politique et spirituel. Cette capitale, perchée à 3800 m d’altitude, s’étend de plus en plus au fil des ans et a toutes les allures d’une ville moderne chinoise. Tout est propre et clinquant. Ce « développement » a englouti une bonne partie de la culture tibétaine. Au centre de Lhassa, entouré de toute la modernité chinoise, on pénètre le quartier historique tibétain autour du temple Jokhang et de la place Barkhor. C’est le lieu le plus vivant de la capitale où se pressent pèlerins, commerçants, touristes,... Tenzin pourrait passer des heures à flâner dans les ruelles tortueuses blanchies à la chaux de la vieille ville, parmi les ateliers d’artisans, les temples cachés et les maisons de thé. Seule contrainte, depuis les immolations de moines et les émeutes en 2008 et 2012, les règles d’accès sont strictes : plusieurs check-points à franchir sous le regard des gardes de sécurité chinois, armés d’extincteurs. Tout est contrôlé et les briquets sont confisqués !
Pourtant, Tenzin doit se rendre à l’évidence : les Chinois ont apporté la modernité et un certain développement économique. Le revers de la médaille: une omniprésence chinoise, comme ces drapeaux de la République populaire plantés sur tous les toits. Même au sommet du Potala, l’ancienne résidence d’hiver des dalaï-lamas où aucun drapeau tibétain n’est bien sûr admis.
La manne touristique, qu’elle soit chinoise ou étrangère est capitale pour le gouvernement chinois. Pour visiter la « région autonome du Tibet », les étrangers doivent payer cher et surtout, beaucoup de taxes chinoises, si on en croit les agences locales. Et le voyage touristique n’est pas facile. Une condition essentielle est d’être en groupe et accompagné d'un guide, qu’il soit chinois ou tibétain. Les touristes ne peuvent pas posséder de drapeaux de prières, ni le fameux guide de voyage « Lonely Planet » préfacé par le Dalaï-lama. Aucune photo du leader spirituel ne peut d’ailleurs être montrée.
No lighter, no “Lonely Planet”
As he leaves the airport, Tenzin heads to the centre of Lhasa, the heart and soul of Tibet, the country’s political and spiritual centre. Perched at an altitude of 12,470 ft., the capital has been regularly expanding over the years and really looks like a modern Chinese city now: everything is clean and shiny. Unfortunately, the development process has erased a considerable part of Tibetan culture. At the centre of Lhasa, surrounded by the symbols of the Chinese modernity, stands the historical district, around the Jokhang Temple and Barkhor Square. This is the liveliest part of the capital, where pilgrims, merchants and tourists converge. Tenzin could wander about there for hours: in the old city’s whitewashed winding narrow streets, around the craftsmen’s workshops, the hidden temples and the tea houses. There are restrictions on free movement, though. Since the 2008 and 2012 monks’ self-immolations and protests, the rules for accessing the centre have become very strict. There are several checkpoints to go through, under the supervision of Chinese security guards armed with fire extinguishers. They control everything and go so far as to confiscate people’s lighters!
However, Tenzin must acknowledge the facts: the Chinese have brought modernity and a level of economic development with them. The other side of the coin is that they are everywhere, like the People’s Republic flags that have been planted all over the roofs. These are even present at the top of the Potala, the Dalai Lamas’ former winter quarters, where Tibetan flags are of course forbidden.
Tourism revenues, or the total expenditure made by the Chinese or foreign visitors, are vital to the Chinese government. According to local agencies, in order to visit the Tibet Autonomous Region, foreign tourists have to spend a lot of money and pay many taxes to the Chinese. In addition, the trip may be risky. So, it is essential to travel in groups and be accompanied by a guide, whether Chinese or Tibetan. Tourists are not allowed to have prayer flags or the famous “Lonely Planet” guidebook containing a preface by the Dalai Lama with them. As a matter of fact, showing or displaying any picture of the spiritual leader is forbidden.
30 moines pour 1000 pièces
La principale curiosité touristique ici, ce sont les Tibétains eux-mêmes et leur dévotion religieuse. Comme Tenzin, ils sont en majorité bouddhistes mais leur liberté de culte est toute relative. Si les Tibétains prient partout et tout le temps, il y a désormais autant de réglementations que de textes sacrés ! Les autorités laissent libre-cours aux rites bouddhistes mais sans attroupement ni rassemblement.
Au fil des ans, les autorités ont fortement réduit le nombre de moines dans les monastères et les temples. Quant au Potala : 13 étages, mille pièces et seulement une trentaine de moines pour y séjourner. À la fin des années 1970, il ne restait plus qu’une douzaine de temples et monastères sur les 5 000 que comptait le Tibet avant l’annexion. Beaucoup ont été reconstruits aujourd’hui pour satisfaire le tourisme. L’homme le plus vénéré reste le 14e Dalaï-lama, Tenzin Gyatso. Il reste encore aujourd’hui le symbole de l’identité tibétaine. Le message du Dalaï-lama au peuple tibétain est clair : « Restez au Tibet et ne fuyez pas. Il faut que la culture, la langue,... restent au Tibet. Venez me voir en Inde mais retournez au Tibet. » Quel choix difficile pour ce peuple entre rester et être dominé ou quitter sa terre natale.
1,000 rooms for only 30 monks
The Tibetans and their religious devotion are the main tourist attraction. Like Tenzin, most are Buddhist, but their freedom to worship is quite restricted. The Tibetans pray all the time and everywhere, but there are now as many rules as sacred texts! The authorities tolerate the Buddhist rites, provided people do not gather in groups.
Over the years, the authorities have drastically reduced the number of monks living in the monasteries and temples. In the Potala alone (a huge building with 13 floors and 1,000 rooms), only about thirty monks are allowed to stay. By the end of the 1970s, only a dozen of the 5,000 temples and monasteries remained out of those that existed in Tibet before its annexation to China. However, a lot of them have now been rebuilt to satisfy the interests of the tourism industry. Tibet’s most venerated man is still the 14th Dalai Lama, Tenzin Gyatso, and he still stands as the symbol of the Tibetan identity. His message to the people of Tibet is clear: “Remain in Tibet. Don’t run away. Our culture and language must remain in Tibet. Come and see me in India, but go back to Tibet.” What a difficult choice for these people: stay and be oppressed, or abandon their homeland!
Les derniers nomades
Tenzin vient d’un village situé non loin de la petite ville tibétaine de Nyalam près de la frontière népalaise. Avant, les Tibétains étaient majoritairement paysans et nomades, ils pratiquaient l’agriculture et l’élevage, comme ses parents d’ailleurs. Aujourd’hui, la plupart vivent du tourisme et de manière plus sédentaire. Les Tibétains nomades sont désormais obligés de se réunir en villages, soumis à de nombreuses règles et contraintes.
Quand on s’éloigne de Lhassa, on peut voir la vraie vie des Tibétains. Ici, pas de routes goudronnées ni d’électricité. On se lave à la fontaine, à la source du village entre les drapeaux de prières, la paille et les excréments de yacks séchés. Juste à côté, la « grandeur », le gigantisme chinois. Pour Tenzin, le contraste est flagrant. Deux niveaux de vie, de valeurs, de richesse complètement différents. Aujourd’hui, malgré la colonisation et la présence de l’armée chinoise, le Tibet reste une terre extraordinaire que se partagent harmonieusement les derniers pasteurs nomades et les agriculteurs. Les hauts plateaux sont des grandes étendues peuplées de troupeaux de yacks en liberté et de montagnes enneigées. Et il y a aussi les sourires des Tibétains, leur hospitalité, les pommettes rougies des enfants et ces milliers de drapeaux de prières sur les pics et les ponts.
Si une des valeurs fondamentales du bouddhisme est l’impermanence des choses, ne pourrait-on pas l’appliquer à la domination chinoise sur le Tibet ? Les Tibétains pourront-ils vivre à nouveau en toute liberté et un jour sortir de cette imposante ombre chinoise ?
The last nomadic people
Tenzin comes from a village located near a small Tibetan town called Nyalam, a short distance from the Nepalese border. In the old days, Tibetans were for the most part a people of nomadic farmers. They would farm the land and raise cattle, the same as Tenzin’s parents used to do. Nowadays, most Tibetans have settled down and earn their living from tourism. As for the Tibetan nomads, they are now forced to gather in villages and are subjected to many rules and restrictions.
Away from Lhasa, one may witness authentic Tibetan life. There are no paved roads and no electricity there. People wash in the fountain (the village spring) amid prayer flags, straw and dry yak manure. Only a few miles away stands the “greatness,” the Chinese gigantism, and for Tenzin the contrast is blatant. Two totally different standards of living and wealth and value systems face each other. At present, in spite of the colonization and presence of the Chinese army, Tibet remains an extraordinary land that the last nomadic herdsmen and the farmers share in harmony. The highlands are vast expanses populated with herds of yaks surrounded by snow-capped mountains. And there, the mind captures the Tibetans’ smiles and welcoming open arms, the children’s cold-reddened cheeks and the thousands upon thousands of prayer flags flapping in the wind on the peaks and bridges.
If one of Buddhism’s fundamental values states that all things are impermanent, could it not be applied to the Chinese domination over Tibet? Will the people of Tibet ever be free again, and someday be able to emerge from that menacing Chinese shadow?