Les survivants des « chars » face aux dérèglements climatiques - Survivors of "chars" facing climate changes

Ce sont les oubliés du Bangladesh ! Loin de tout, isolés de la terre ferme, rencontre avec les survivants des « chars », ces îles éphémères au beau milieu des grands fleuves du pays.

These are forgotten people of Bangladesh! Far from everything, isolated from the mainland, meeting with survivors of "chars", these ephemeral islands in the middle of the big rivers of the country.

Je n’avais jamais vu un tel cadre de vie : des bandes de terre, plus ou moins grandes qui surgissent et disparaissent au gré des humeurs du Brahmapoutre (Jamuna au Bangladesh), du Gange (Padma au Bangladesh) et du Meghna. Sur ces îlots, la terre y est fertile, mais la vie est dure : les populations les plus pauvres et vulnérables du pays sont installées ici sans eau courante, sans électricité, sans moyen de transport et privées de tout service et de toute infrastructure publique.

I had never seen such a living environment: bands of land, larger or smaller, that pop up and disappear according to the moods of Brahmaputra (Jamuna in Bangladesh), Ganges (Padma in Bangladesh) and Meghna. On these islands, land is fertile, but life is hard: the poorest and most vulnerable populations of the country are settled here without running water, without electricity, without means of transport and deprived of any public service and infrastructure.

Plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants, en moyenne 272 familles par char, y mènent une vie centrée sur l’agriculture et la pêche. Une vie, surtout, très… provisoire ! Leur maison, leurs terres agricoles, leurs voisins, leurs habitudes quotidiennes… en quelques jours, voire quelques heures, tout peut disparaître sous le coup des inondations annuelles, de l’érosion et du réchauffement climatique. Le fleuve est vorace et grignote tous les jours un petit peu plus de leur territoire. Les voilà contraints à accepter une existence à durée limitée, une dizaine d’années maximum, avant que le fleuve n’emporte tout et les force à l’exil.

Avec ses 160 millions d’habitants, Le Bangladesh est un des pays les plus peuplés au monde et, ici, le concept de « réfugié climatique » est déjà une réalité. Le pays est très exposé aux inondations : les nombreuses rivières gonflent avec la mousson et de manière d’autant plus ravageuse qu’en amont, les glaciers himalayens fondent en raison du réchauffement climatique. Les populations des chars sont donc plus menacées que jamais.

More than a million men, women and children, on average 272 families per char, lead a life focused on agriculture and fishing. A life, especially very ... temporary! Their house, their farmland, their neighbors, their daily habits ... in a few days, even a few hours, everything can disappear under the influence of annual floods, erosion and global warming. The river is voracious and nibbles every day a little bit more of their territory. Here they are forced to accept a life-limited existence, a maximum of ten years, before the river takes away everything and forces them into exile.

With 160 million of inhabitants, Bangladesh is one of the countries in the world with a very high density of population and here the concept of "climate refugee" is already a reality. The country is very exposed to floods: many rivers inflate with the monsoon and even more with melting of Himalayan glaciers due to global warming. Char’s populations are therefore more threatened than ever.

Tôt ou tard, ils devront fuir, une fois encore ! Se trouver une autre île où tout reconstruire ou bien s’entasser dans un des bidonvilles de Dacca, la capitale surpeuplée du pays qui, selon la Banque Mondiale, accueille déjà quelques 400.000 migrants climatiques chaque année. Bref, le Bangladesh, l’un des pays les plus pauvres du monde (près d’un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté), au rang des petits pollueurs à l’échelle mondiale (78,5 millions de tonnes de CO2 en 2016), est l’un des plus exposés au réchauffement climatique que ce soit par l’élévation du niveau de la mer, la fonte des glaciers de l’Himalaya ou l’intensification des catastrophes naturelles.

Sooner or later, they will have to flee once again! Find another island where everything can be rebuilt or crammed into one of the slums of Dhaka, the overpopulated capital of the country which, according to the World Bank, already hosts some 400,000 climatic migrants each year. In short, Bangladesh, one of the poorest countries in the world (almost a third of the population lives below the poverty line), a small carbon emitter country (78.5 million tons of CO2 in 2016), is one of the most exposed to global warming, by sea level rise, the melting of the Himalayan glaciers or the intensification of natural disasters.

Dans cette zone oubliée, une ONG a décidé de pallier les défaillances de l’Etat : Friendship, créé en 2002 par une femme issue d’une famille riche qui a décidé de sortir de son cocon à l’âge de 39 ans. Révoltée, en colère, Runa Khan a été poussée par un profond sentiment d’injustice après avoir navigué près de ces chars : « j’étais sur une autre planète, je n’avais jamais vu un tel niveau de pauvreté. Les gens peuvent vivre dans la pauvreté mais pas sans opportunité, ni espoir. Ça n’est pas possible ! Comment, en tant que Bangladais, peut-on laisser faire ça ? » L’ONG Friendship se lance désormais le défi de soutenir ces populations très vulnérables, notamment dans le district de Gaibandha, au Nord du pays, dans lequel je me rends avec elle: “Il fallait que je fasse quelque chose. Ils sont du même pays que moi.”

In this forgotten area, a NGO decided to remedy the failings of the State: Friendship, created in 2002 by a woman from a rich family who decided to come out of his cocoon at the age of 39 years. Revolted, angry, Runa Khan was driven by a deep feeling of injustice after sailing near these chars: "I was on another planet, I had never seen such a level of poverty. People can live in poverty but not without opportunity or hope. It is not possible! How, as Bangladeshi, can we let that happen? The NGO Friendship is now taking up the challenge of supporting these very vulnerable populations, particularly in Gaibandha district, in the North of the country, where I go with her: "I had to do something. They are from the same country as me."

Runa Khan

Runa Khan est une femme musulmane dans un monde d’hommes, à la tête d’une association de 1800 personnes, son ascension suscite l’admiration. D’année en année, Friendship a grandi et a construit des bateaux-hôpitaux, des cliniques itinérantes voguant de char en char et donnant 1.4 million de services médicaux gratuitement chaque année. Trois bateaux sont à l’œuvre aujourd’hui, 5 autres seront bientôt mis à l’eau. Sur l’un deux, je rencontre Mosammot Sufia Khtun et son fils de 3 ans, Tamin, opéré récemment d’un bec de lièvre et d’une malformation du palais. “L’opération a réussi et ça a changé ma vie à bien des égards. Sans Friendship, il n’y avait aucune solution. Nous avons la chance d’avoir une maison, de la nourriture, des voisins et le plus important, il y a ce centre de soins et on a pu soigner mon fils. Donc, vivre sur les chars, ce n’est vraiment plus un problème pour nous”.

Runa Khan is a Muslim woman in a world of men, at the head of an association of 1800 people, her ascent arouses admiration. From year to year, Friendship has grown and built hospital ships, traveling to char to char and providing 1.4 million health services every year for free. Three boats are at work today, 5 more will soon be launched. On one of them, I meet Mosammot Sufia Khtun and her 3-year-old son, Tamin, recently operated of a hare beak and a malformation of the palate. "The operation was successful and it changed my life in many ways. Without Friendship, there was no solution. We are lucky to have a house, food, neighbors and most importantly, there is this health center and we were able to look after my son. So living on chars is really not a problem for us anymore."

Mosammot Sufia Khtun et son fils de 3 ans, Tamin - Mosammot Sufia Khtun and her 3-year-old son, Tamin

A côté des soins, l’ONG a aussi créé des écoles, des centres de formation pour autonomiser les femmes et des équipes « paralégales » ont été créées pour informer les habitants de leurs droits. Leur grand combat : l’interdiction des mariages précoces très courant dans cette région. Jarina a 12 ans, elle est très fière de partager son expérience avec moi. Il y a 5 mois, elle est parvenue à échapper à son mariage grâce à sa grand-mère et l’intervention des équipes paralégales de Friendship : « Mes parents m’ont proposé un mariage arrangé l’an dernier, mais je connaissais mes droits. Alors, je leur ai dit que je ne pouvais pas me marier maintenant parce que ça serait un mariage d’enfants et que ça causerait beaucoup de problèmes”.  

In addition to care, the NGO has also created schools, training centers to empower women and "paralegal" teams have been created to inform people on their rights. Their big fight: the prohibition of child marriages very common in this region. Jarina is 12 years old, she is very proud to share her experience with me. Five months ago, she managed to escape from her marriage thanks to her grandmother and the intervention of the paralegal teams of Friendship: "My parents offered me an arranged marriage last year, but I knew my rights. So I told them that I could not getting married now because it would be a child marriage and it would cause a lot of problems."

Jarina, 12 ans - 12 years old

Jarina et sa grand-mère - Jarina and her grandmother

Les personnes âgées, les femmes et les enfants sont les plus fragiles sur ces chars et chaque déménagement appauvrit un peu plus cette population déjà démunie. Runa Khan refuse les solutions générales, les projets de grande ampleur, chaque cas doit être pris individuellement : “Ces gens ont des besoins simples, il faut donc trouver des solutions simples. Je veux que l’on travaille en qualité et pas en quantité, que chaque personne soit traitée comme un être humain, à sa juste valeur. Les femmes sont le moteur du changement dans le monde. Si elles sont touchées, alors, je suis touchée. Elles sont moi et chaque jour, elles m’épatent. Oui, je suis fatiguée certains jours mais quand je vais voir sur le terrain le travail des équipes de Friendship et les résultats qui se concrétisent, cela me donne de l’énergie pour continuer à avancer et à me battre pour ces peuples. Je veux voir le changement, avec respect et dignité. Je veux voir une nation en paix, une nation d’amour et tout cela est plus important que l’argent.”

J’ai été touché par la force, la détermination, la volonté de cette femme simple, lumineuse et avec un coeur gros comme ça!

Elderly, women and children are the most vulnerable on these chars and each move impoverishes a little more this already poor population. Runa Khan refuses general solutions, large-scale projects, each case must be taken individually: "These people have simple needs, so we must find simple solutions. I want to work in quality and not in quantity, that every person is treated like a human being, at its true value. Women are the engine of change in the world. If they are affected, then, I am affected. They are me and every day, they amaze me. Yes, I'm tired some days but when I go to see the work of the Friendship teams on the ground and the results that materialize, it gives me the energy to continue to move forward and fight for these people. I want to see change, with respect and dignity. I want to see a nation in peace, a nation of love and all that is more important than money."

I was touched by the strength, the determination, the will of this simple woman, bright and with a big heart like that! 

Et la vidéo... And the video...